2008 - L’enfant, enjeu ou cible de la justice des mineurs ?

ARGUMENTAIRE

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Notre assemblée générale du 24 mars 2007, "Crises et
châtiments, quelle justice pour les jeunes ", avait déjà été dominée
par une actualité orientée depuis plusieurs années sur la seule
perspective répressive : lois Perben de 2002 et 2004, loi du 12
décembre 2005 relative au traitement de la récidive, loi du 5 mars
2007 sur la prévention de la délinquance.

Depuis, pour faire bonne mesure, une loi du 5 août 2007
concernant à nouveau la récidive est venue accorder au président
de la République les satisfactions qui avaient été refusées par la
majorité précédente au ministre de l’intérieur.

Dans la continuité de cet acharnement législatif, nous avons
appris à l’automne la prochaine refonte de l’ordonnance du 2 février
1945, et le projet de partition des fonctions civiles et pénales du
juge des enfants.

La note de Madame Dati du 17 septembre proposant à ce sujet
une expérimentation préalable n’a d’ailleurs fait que reprendre un
engagement exprimé lors de la campagne présidentielle par Nicolas
Sarkozy.

Elle était donc, selon un raisonnement à la mode, censée
refléter la volonté souveraine du peuple français, encore que l’on
puisse douter que le mode de répartition du travail entre les juges
des enfants ait pesé bien lourd dans le choix du vainqueur.
Le prétexte invoqué, une pénible ambiguïté ressentie par les
mineurs du fait de l’exercice simultané par la même personne des
fonctions civiles et pénales, ne vaut en réalité pas plus pour le juge
des enfants que pour les enseignants ou les parents.

Il est opportun
de relever que le conseiller principal d’éducation chargé de faire
respecter la discipline au sein des lycées et collèges est, comme
par hasard, le personnage auquel les élèves confient le plus
volontiers leurs problèmes personnels et familiaux, de préférence
aux enseignants eux-mêmes.

En ce qui concerne la justice des mineurs, tout le monde a bien
compris que nos responsables politiques se préoccupent moins de
ce que les adolescents ont en tête que de ce qui dysfonctionne dans
la tête du juge : ils veulent débarrasser ce dernier à son corps
défendant de toute conscience de la complexité, tant il est vrai qu’à
vouloir comprendre, il peine à réprimer autant qu’il le faudrait.

Il faut se rendre à l’évidence : nous devons prendre acte de la
disparition progressive des privilèges autrefois reconnus à l’enfant
en raison de son immaturité et de la volonté de l’Etat de se dégager
de ses responsabilités éducatives pour s’en tenir à une sanction
réputée seule dissuasive.

Mais alors, comment assurer le grand écart entre des lois que
nous sommes tenus d’appliquer et une expérience professionnelle
qui nous conduit inéluctablement à des conclusions non pas
différentes mais contraires ?

Quelles pratiques inventer pour
concilier l’inconciliable ?

On peut déjà se demander si la véritable incohérence se situe
dans la pratique conjointe de l’assistance éducative et du traitement
de la délinquance juvénile nonobstant la découverte moderne d’une
dualité mineurs victimes et mineurs barbares.

La vraie rupture historique n’est-elle pas plutôt dans la posture
éthique à laquelle se réfère le magistrat qui préfère se comporter
vis-à-vis des mineurs en entraîneur plus qu’en arbitre ?

Ou encore
dans les objectifs assignés à l’intervention : pour les politiques
procédure rapide centrée sur la sanction de chaque passage à l’acte
et assumant d’avance une possible escalade ; pour nous
déclenchement d’une recherche concernant une personne, dont la
rencontre nécessite souvent un « pas de côté » par rapport à
l’élucidation des faits commis et le respect d’une durée génératrice
de risque.

Faudra-t-il dès lors sélectionner parmi les juges ceux qui ont le
profil adéquat, et réserver les personnalités les plus rigides et les
moins consciencieuses au traitement des mineurs délinquants ? Le
meilleur des mondes n’est pas loin.

On nous brandit le résultat de sondages établissant que les
français optent pour une sévérité accrue ; quand cela serait, faut-il
identifier si vite opinion publique et expression de l’intérêt général ?
Ne serait-ce pas créer un nouveau dogme d’infaillibilité
particulièrement dangereux ?

Telles sont les questions impertinentes auxquelles nous
conduit la précipitation législative.
Pour l’heure, il est nécessaire de
garder les yeux ouverts sur ce qui se passe au-delà de notre
"boutique" afin d’en comprendre les enchaînements et d’en mesurer
la prégnance.

La matinée et le début d’après-midi de l’assemblée générale
seront donc consacrée à des interventions portant sur les
changements sociétaux qui sous-tendent l’activité législative avec
quatre interventions fortes destinées à nourrir une après midi
consacrée à partir de 15h 15 et jusqu’à 18h au débat, selon le voeu
maintes fois exprimé par les participants aux précédentes
assemblées générales.

Frédéric Gros, philosophe, spécialiste et éditeur des oeuvres
de Michel Foucault (Et ce sera Justice. Punir en démocratie (en collaboration avec Antoine Garapon et Thierry Pech), Odile Jacob, 2001 et Etat de violence :
essai sur la fin de la guerre, Gallimard, 2006), éclairera pour nous les mutations dans
l’exercice de nos responsabilités à l’égard de l’enfant. La
transmission et l’éducation sont elles toujours au coeur de cette
responsabilité ? Cette ambition menacée n’est-elle pas le fondement
des valeurs défendues par une justice des mineurs spécialisée ?

Caroline Eliacheff, psychanalyste connue et appréciée par
beaucoup d’entre nous (Le temps des victimes, avec Daniel Soulez Larivière, éditions Albin Michel, 2007), traitera ensuite le coeur de notre sujet sous
le titre : « Entre compassion et vindicte, quel espace pour l’enfant
aujourd’hui ? » Comment en est-on arrivé à une image de l’enfance à
ce point dissociée que l’on n’aperçoive plus la fêlure qui, dans la
personne du délinquant, nécessite protection en même temps que son acte justifie la sanction ? Pourquoi le glissement parallèle qui,
dans la phraséologie ministérielle, transforme l’enfant en danger en
enfant victime ? Que recouvrent ces masques stéréotypés derrière
lesquels disparaissent les personnes en chair et en os qui
fréquentent nos cabinets ?

Enfin nous aurons recours à Irène Théry, spécialiste du droit de
la famille (qui vient de publier La distinction de sexe : une nouvelle approche de l’égalité, Odile Jacob, 2007), pour aborder la perspective sociologique sous le titre
« De l’Etat éducateur à la lecture de la lettre de Guy Môquet ». En
effet, nous avions été vivement impressionnés au printemps 1992
par sa magistrale démonstration parue dans la revue Esprit sous le
titre : « Nouveaux droits de l’enfant : La potion magique ? » (Revue Esprit, mars-avril 1992).Irène
Théry y stigmatisait avec fougue et rigueur une certaine lecture
libérationniste de la convention sur les droits de l’enfant et lui
opposait la tradition française orientée sur la protection. Quinze ans
après, que pense-t-elle de la manière dont la France applique le
texte et de l’étrange duplicité avec laquelle on traite l’enfant visé
par la convention selon qu’il se trouve dans l’hypothèse prévue à
l’article 40 ou dans une autre situation ?
Qu’en est-il aujourd’hui du rôle paternel de l’Etat, cher à Pierre
Legendre, et que signifie à présent le retour symbolique à la Mère
Patrie à laquelle chacun est convié à se sacrifier ?
Après l’intervention d’Irène Théry, l’après-midi sera
essentiellement consacrée à un débat général libre introduit par

Denis Salas, magistrat et chercheur (La volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Hachette Littératures, 2005), sur la manière dont les
questions précédentes retentissent dans le quotidien de la justice
des mineurs et notamment à partir de la question de la séparation
de l’assistance éducative et du pénal.

Sans préjuger de ce qui pourra se dire, il est certain que la
question de notre identité professionnelle devra être abordée sous
de nouveaux auspices.

Il faudra envisager l’éventualité d’une résistance à l’air du
temps, et pour ce faire réfléchir aux contraintes liées à notre statut
de magistrat et à notre marge d’interprétation, y compris par l’application directe de la convention internationale des droits de
l’enfant quand cela sera nécessaire.

Il faudra aussi préciser nos revendications éthiques
concernant le respect dû à toutes les parties au procès pénal,
justifier notre choix en faveur d’un humanisme laïc transcendant la
diversité des personnes, pour en souligner l’égalité essentielle et la
nécessaire solidarité.

Enfin, il conviendra de clarifier les limites d’une réflexion
collective qui est évidemment indispensable et de recenser les
moyens d’information dont nous disposons : discussions sur
Internet via le forum -enfants, rédaction d’un vade-mecum des
bonnes pratiques à l’usage des collègues, etc…

Nous vous invitons à venir nombreux, en raison de l’importance
des sujets traités et de la gravité de la conjoncture pour la justice
des mineurs.

PROGRAMME DE L’ASSEMBLEE GENERALE DE L’ASSOCIATION FRANCAISE DES MAGISTRATS
DE LA JEUNESSE ET DE LA FAMILLE

Palais de Justice de Paris, Salle des Criées

Les 2 et 3 février 2008

L’enfant, cible ou enjeu de la justice des mineurs ?

Samedi 2 février

Matin

9h30 accueil

9h 45 Présentation du thème de l’assemblée générale par
Catherine Sultan, présidente de l’AFMJF

10h Ouverture par, Frédéric Gros, philosophe, professeur des universités
« Responsabilités et transmissions »

10 h 30 Caroline Eliacheff, psychanalyste
« Entre compassion et vindicte, Quel espace pour l’enfant
aujourd’hui ? »

11 h Premier échange avec la salle

11 h 30 Intervention de M. Philippe-Pierre Cabourdin, Directeur de la
Protection Judiciaire de la Jeunesse

12 h 30 Déjeuner

Après-midi

14 h 30 Irène Théry, sociologue
« De l’Etat-Educateur à la lecture de la lettre de Guy Môquet »

15 h 15 à 16 h 15 Débat introduit et animé par Denis Salas et Muriel Eglin

16 h 30 Reprise des débats et synthèse des travaux par Alain Vogelweith, magistrat
détaché, DGA chargé de l’enfance au Conseil général du Pas de Calais

18 h Clôture

DIMANCHE 3 février 2008 - RESERVE AUX ADHERENTS DE L’AFMJF

Matin :

10 h 00 Rapport moral et rapport financier

10 h 30 Débat et vote

11 h 00 Comité directeur élargi à tous les adhérents présents : approbation des
orientations 2008 de l’AFMJF, modification des statuts.

12 h 30 déjeuner de clôture