Recentrage sur le pénal demandé par 2 ministres - mai 1998.

La double compétence civile et pénale du juge des enfants est régulièrement remise en cause. Tel fut le cas en 1998 sous un gouvernement de gauche. A l’époque le Garde des Sceaux, Mme Guigou, s’était vigoureusement opposée à l’abandon de cette double compétence. Cet extrait de la Lettre de Mélampous de mai 1998 a une valeur historique sur ce débat récurrent.

Recentrage sur le pénal : le Juge des enfants revu par le Ministre de l’intérieur et la Ministre déléguée chargée de l’enseignement - Mai 1998.

De source sûre, on apprend que le Ministre de l’intérieur, M. CHEVENEMENT et la Ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, Mme ROYAL par l’intermédiaire de son Directeur de cabinet, ont écrit de manière concertée au Premier Ministre M. JOSPIN. Ils prennent ainsi position suite à la publication du rapport LAZERGES-BALDUYCK sur les réponses à apporter à la délinquance des mineurs.

Dans ces courriers, les deux ministres donnent leur vision de ce que devrait devenir le juge des enfants.

Tous deux mettent en cause “l’irresponsabilité pénale des mineurs” et la double compétence du juge des enfants (assistance éducative-enfance délinquante).

Extraits de la lettre du Ministre de l’intérieur

“Au delà des réformes techniques nécessaires, il est temps de donner au pays une nouvelle politique en matière de traitement de la délinquance en procédant à la refondation du dispositif en vigueur. En ce sens, il y a lieu, notamment, de revenir sur la présomption d’irresponsabilité des mineurs délinquants et sur la double compétence du juge des enfants, chargé à la fois de la protection de l’enfant en danger et du traitement du mineur délinquant. Ces deux principes, significatifs de l’esprit tutélaire de l’ordonnance du 2 février 1945, et des textes qui en découlent, ne sont plus pertinents […].”

L’irresponsabilité pénale des mineurs selon M. CHEVENEMENT

“Volontairement ou non, le rapport parlementaire entretient une confusion regrettable entre responsabilité pénale et possibilité de traduire le mineur délinquant devant une juridiction : Cette confusion permet aux parlementaires d’affirmer que le mineur est bien responsable aux termes de l’ordonnance de 1945.

Il s’agit d’un contresens majeur. Pour le législateur de 1945, le mineur délinquant est, par présomption, irresponsable pénalement, et cette présomption est, on le sait, plus ou moins absolue selon son âge. Avant 13 ans, cette présomption est quasiment absolue et le mineur ne peut pas faire l’objet d’une condamnation pénale, quel que soit l’acte commis, mais seulement d’une mesure de protection, de surveillance, d’assistance ou d’éducation. De 13 à 16 ans, cette présomption d’irresponsabilité se trouve atténuée, mais demeure. Au delà de 16 ans, l’atténuation de l’irresponsabilité est encore accentuée puisque la juridiction saisie peut écarter l’excuse de minorité et condamner le mineur à une peine identique à celle encourue par le majeur.

L’affirmation de l’irresponsabilité de principe du mineur était conforme à l’esprit du texte de 1945 pour lequel la délinquance des jeunes relevait plus de la responsabilité sociale collective que du libre arbitre de l’individu. Il ne s’agit pas, aujourd’hui, de nier la part des facteurs sociaux dans la commission de l’acte délinquant ; mais dans un souci de responsabilisation du mineur, d’inverser la proposition en affirmant qu’à compter d’un certain âge (13 ans par exemple), le mineur est pénalement responsable de ses actes et passible d’une peine. Corrélativement, on affirmera que cette responsabilité peut être graduée et que la peine peut être spécifique, et en particulier, offrir une dimension éducative. Ce renversement des principes n’aura pas pour conséquence une répression nécessairement accrue ou l’application plus grande de peines d’emprisonnement, mais contribuera à dissiper la conviction, ancrée dans l’esprit tant des professionnels que du grand public et confirmée par les textes, que le mineur est irresponsable.

En revanche, il n’apparaît pas souhaitable, comme le proposent certains parlementaires, de modifier l’âge de la majorité pénale.”

La compétence du juge des enfant selon le Ministre de l’intérieur

“Elément central de l’ordonnance de 1945, le juge des enfants est également compétent en matière d’assistance éducative à l’égard de l’enfance en danger. […]

Le rapport parlementaire n’a pas manqué de souligner, à juste titre, l’accroissement régulier de la part de l’assistance éducative dans l’activité des juges des enfants, tout en s’inquiétant de ce que l’évolution du contentieux pénal “conduise les juges à négliger l’enfance en danger”. Pour des raisons de culture judiciaire, il est plutôt à craindre que l’explosion de l’assistance éducative et le surcroît de travail qui en résulte, amène les juges à opérer des choix de contentieux peu favorables au traitement des dossiers pénaux. La double compétence n’apparaît donc pas, aujourd’hui comme un gage d’efficacité de la justice pénale des mineurs.

Par ailleurs, cette double compétence, à laquelle il peut sembler utile de mettre fin, présente un inconvénient évident de principe : elle contribue, mais tel était, une fois encore l’esprit des textes fondateurs, à brouiller l’image du juge des enfants, tantôt juge de la pathologie familiale, proche de l’assistant social, tantôt juge répressif. Utile dans une conception pathogène de la délinquance, cette confusion des rôles est néfaste à l’égard de mineurs dépourvus des repères les plus élémentaires et auxquels il convient d’offrir des représentations structurantes.”

Extrait de la lettre du Directeur de cabinet de la Ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire

“La proposition consistant à remettre en cause la double compétence du juge des enfants est intéressante. La Ministre y est favorable.

Même si le terme de “présomption d’irresponsabilité” des mineurs délinquants peut apparaître excessif, l’insuffisance de la loi pénale concernant les mineurs de 13 à 16 ans ne peut être éludée (détention provisoire impossible pour tous les délits).”


La Justice des mineurs : un enjeu politique majeur.

En transmettant ces extraits de courriers ministériels, l’objectif est de faire prendre conscience des projets qui pourraient se dessiner prochainement, sous l’arbitrage du Premier Ministre.

L’association des magistrats de la jeunesse n’est pas un syndicat. Son but est d’assurer une représentation professionnelle sur des questions techniques et juridiques.

Les mineurs, fussent-ils de moins de 13 ans ou âgés de 13 à 16 ans, sont-ils pénalement irresponsables ?

Un juge des enfants n’ayant plus en charge la protection de l’enfance en danger (art 375 et suivants du code civil) apporterait-il une réponse mieux adaptée à la délinquance des mineurs ?

Les juges des enfants ressentent-ils une perte de repère à mêler éducatif et répressif ?

Que vous soyez membre ou non, vos remarques et avis permettront à l’association de prendre une position nationale représentative de la profession.